
Le Gabon à la croisée des chemins : Oligui Nguema déclenche une offensive judiciaire sans précédent contre l’héritage Bongo
Le régime du général Oligui Nguema, confronté à l’héritage complexe de l’ère Bongo, a engagé le 22 juillet 2025 une contre-offensive judiciaire de grande envergure, signifiant une rupture nette avec les temporisations antérieures. Le dépôt simultané de deux plaintes, l’une sur le sol gabonais à Libreville et l’autre auprès des autorités françaises à Paris, vise à déconstruire méthodiquement la structure de l’ancien pouvoir, ciblant directement Ali Bongo Ondimba et son cercle le plus proche. Cette démarche, éminemment symbolique et stratégique, révèle une volonté de redéfinir la légitimité étatique et de restaurer la confiance des populations et des partenaires internationaux.
Cet épisode s’inscrit dans une escalade contentieuse qui a gagné en intensité au cours de l’année écoulée. Après avoir été la cible d’une série d’initiatives judiciaires en France émanant de la famille Bongo, le pouvoir de transition gabonais opte pour une posture offensive. La synchronisation de cette action, à l’approche des élections législatives de septembre, suggère une manœuvre habilement orchestrée, traduisant une aspiration à une clarification des responsabilités et des allégations de prédation.
Une double stratégie judiciaire pour assainir la gouvernance
L’architecture de cette offensive judiciaire repose sur une approche bimodale. À Libreville, la plainte portée par le ministère public vise un spectre large de chefs d’accusation : haute trahison, détournements massifs de fonds publics, corruption endémique, usage de faux et falsification présumée de la signature présidentielle. Ces accusations sont dirigées contre Ali Bongo lui-même, son épouse Sylvia, leur fils Noureddin, ainsi qu’un réseau d’anciens collaborateurs clés. Parallèlement, le Parquet National Financier (PNF) à Paris est saisi d’une plainte pour blanchiment aggravé, acquisition illicite de biens (biens mal acquis) et recel en bande organisée. L’ambition sous-jacente de cette action en France est de faire reconnaître juridiquement l’existence d’un système de spoliation financière structuré, dont le centre névralgique aurait été la présidence gabonaise.

La conduite de ce double front judiciaire est exécutée avec une méthode rigoureuse et une expertise pointue. À Paris, l’État gabonais a confié sa représentation au cabinet Vivien & Associés, renforcé par l’intervention de Maître Sébastien Mabile, un spécialiste reconnu des litiges transnationaux et des contentieux environnementaux, dont la rigueur et l’influence au sein des juridictions françaises sont avérées. À Libreville, Maître Idriss Patience Moutombi, jeune talent du barreau et conseiller juridique officieux de la présidence, assure l’articulation des fondements pénaux de la plainte nationale. Ce noyau d’expertise juridique est complété par un écosystème de soutien diversifié : des consultants français spécialisés en intelligence financière, un lobbyiste œuvrant discrètement à Bruxelles pour sensibiliser les eurodéputés, et un réseau d’anciens hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay mobilisés pour optimiser les canaux diplomatiques.
L’ampleur des enjeux : financiers, juridiques et géopolitiques
Les pièces constitutives du dossier sont d’une ampleur considérable et potentiellement incriminante. Côté gabonais, la Direction Générale des Recherches (DGR) a transmis à la justice une documentation exhaustive : états bancaires détaillés, relevés de virements jugés suspects, titres de propriété et extraits de comptes au nom de sociétés écrans enregistrées dans des places financières réputées pour leur opacité telles que Dubaï, Genève, Monaco et Londres. Selon l’accusation, l’ensemble de ces éléments documente un siphonnage systématique de plusieurs centaines de milliards de francs CFA sur la période 2018-2023. À Paris, le PNF dispose déjà d’un inventaire précis des actifs immobiliers détenus par la famille Bongo, recensé en 2021 dans le cadre de l’affaire des « biens mal acquis ». Cet inventaire inclut des appartements haussmanniens, des hôtels particuliers et des comptes offshore, dont la valeur cumulée est estimée à plus de 85 millions d’euros (soit près de 56 milliards de francs CFA).
L’offensive judiciaire initiée par le général Oligui Nguema contre Ali Bongo transcende la simple logique d’un règlement de comptes politique. Elle s’inscrit dans une stratégie globale de refondation du pouvoir, visant à asseoir la légitimité de la transition et à projeter l’image d’un Gabon « assaini » sur la scène internationale, notamment auprès des institutions financières et des partenaires économiques. Toutefois, l’enchevêtrement complexe des procédures, l’anticipation de contre-attaques juridiques et médiatiques d’une intensité certaine, et l’ampleur colossale des montants en jeu confèrent à ce dossier une dimension incertaine. C’est désormais aux institutions judiciaires, dans leur pleine indépendance et impartialité, qu’il reviendra de démêler cette trame complexe et de prononcer un verdict qui aura des répercussions profondes sur l’avenir politique et institutionnel du Gabon.
