
Russie-Ukraine : les dessous d’un conflit mondial – Entretien avec Ghislain Olory-Togbé, juriste-politiste et analyste politique
Depuis février 2022, la guerre en Ukraine bouleverse l’équilibre géopolitique mondial, redéfinissant les rapports de force entre grandes puissances. Entre enjeux historiques, rivalités stratégiques et luttes d’influence, ce conflit dépasse largement les frontières des deux pays concernés. Alors que de récents développements diplomatiques suscitent des interrogations sur une possible issue, nous avons échangé avec Ghislain Olory-Togbé, juriste-politiste et analyste politique. Dans cet entretien, il décrypte pour nous les racines de cette guerre, les dynamiques en cours et les perspectives de sortie de crise.
Monsieur OLORY-TOGBE, cette guerre qui retient le plus d’attention dans le monde, quelle est sa genèse ? Comment a-t-elle commencé ?
Je vous remercie de m’avoir invité pour échanger avec vous sur l’actualité qui défraie la chronique à l’échelle internationale, il s’agit bien de la guerre en Ukraine et ses enjeux dans l’équilibre du monde.
En effet, il me parait important de rappeler quelques faits marquants de cette guerre ou encore de cette opération militaire Russe en territoire Ukrainien que je mets en griffes. Je vais le rappeler en 3 points :
Tout d’abord, il faut déjà savoir qu’il existe des liens historiques entre la Russie et l’Ukraine. Ces liens sont révélateurs de périodes plus ou moins longues de dominations de la Russie, ce qui avec le temps a posé la question de l’identité russe. L’histoire de l’Union soviétique (URSS), dont l’Ukraine faisait partie, a laissé des traces profondes dans les relations entre les deux pays.
Ensuite, après la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’Union soviétique, l’élargissement de l’OTAN vers l’Est avait été perçu par la Russie comme une menace à sa sécurité vue la proximité et les liens qu’elle partage avec l’Ukraine.
Vous vous rappelez certainement en 2014, le président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch avait été destitué et les événements qui y ont conduit ont été considérés comme un coup d’Etat orchestré par les pays occidentaux. La réaction immédiate de la Russie qui s’en est suivie a été de déclencher l’annexion de la Crimée et le soutien aux séparatistes pro-russes vivant dans le Donbass. Le Donbass a donc connu une guerre qui a duré presque huit (8) années, et qui a abouti aux accords de Minsk en 2015, accords qui n’ont jamais été pleinement appliqués.
C’est en février 2022 que la Russie a lancé son opération spéciale en Ukraine jugeant de la nécessité de « dénazifier », « démilitariser » l’Ukraine, et de protéger les populations russophones qui y vivent.
Il faut donc conclure que ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine et par extension et l’OTAN est le résultat d’une combinaison de facteurs historiques, géopolitiques et sécuritaires, qui se sont accumulés au fil des années.
Que pouvez-vous nous dire à propos des nouveaux développements relatifs à la guerre en Ukraine ?
Je commencerai bien évidemment par le dernier événement unique en son genre qui s’est produit devant les écrans de télévision du monde. Ce ‘’clash’’ entre le Président Américain Donald Trump, son vice-président J.D. Vance et le Président Ukrainien Volodymyr Zelensky dans le bureau ovale de la maison blanche. On l’a tous vus, certains en direct, d’autres en différé. Il s’agit bien évidemment d’une scène surréaliste. Tout le monde y va de son interprétation. Pourtant, les observateurs avertis ne seraient pas surpris ni par la réaction du Président Américain et de son vice-président ni par l’attitude de son homologue ukrainien qui était venu pour négocier les garanties d’un accord de paix avec la Russie et un accord d’exploitation de certains minerais sur son sol.
On l’a toujours dit, sauf pour ceux qui n’ont jamais voulu l’entendre, l’issue de cette guerre dépend grandement de l’aide des Etats-Unis d’Amérique.
Tout d’abord, parce que sous l’administration Joe Biden, les Etats Unis d’Amérique ont apporté près de 70 milliards de dollars, à peu près 114 milliards d’euros en trois ans de guerre ; ce qui a permis à l’Ukraine de résister face aux assauts russes même si les européens viennent légèrement en tête une aide globale d’environ 132 milliards d’euros.
Ensuite, même si l’Ukraine produit chaque année une quantité considérable d’armes. Les dépenses dans cette production domestique sont estimées à presque 28 milliards d’euros. Mais celles qui sont fournies par les Américains sont de loin les plus sophistiquées, les plus efficaces et permettent aux forces armées ukrainiennes de maintenir leurs positions face aux forces russes.
Troisièmement, le Président Donald Trump a mené plusieurs actions. La première action alors qu’il n’était pas encore élu, a réussi par le biais élus républicains au congrès, à ralentir le processus de décaissement des efforts de soutien à l’Ukraine par la livraison d’armes. Aussi a-t-il fait campagne autour de la fin de la guerre en Ukraine et nous connaissons tous les bonnes relations qu’il a toujours entretenues avec le Président russe Vladimir Poutine. Et d’ailleurs, il les a rappelés au moment où le Président Zelensky disait que le Président Russe avait déjà violé deux fois des accords. Et au Président Donald Trump de lui rappeler qu’aux moments où cela c’était produit, que c’était sous l’administration Barack Obama et Joe Biden. Il lui garantit que le Président Russe a toujours respecté les accords avec lui.
Comment entrevoyez-vous l’issue possible de cette guerre ?
Je vous l’ai dit tout à l’heure, les Etats-Unis d’Amérique sont les Etats-Unis, c’est l’une des puissances dissuasives et leur implication dans n’importe quelle crise est déterminante quant à son issue. J’ai aussi rappelé que l’Ukraine produit d’énormes quantités d’armes. Mais rassurez-vous, si les Etats Unis cessent leur aide à l’Ukraine aujourd’hui à l’Ukraine et même avec le soutien des européens, elle ne tiendra que jusqu’à juin et juillet prochains. Si Zelensky qui a clairement refusé de signer un accord de paix, il risquerait très gros, il pourrait capituler. On a déjà connu le sort de plusieurs dirigeants abandonnés par les Américains, ce que nous ne souhaitons pas à l’Ukraine. Nous pensons que le Président Zelensky doit principalement penser à son peuple dans les choix qu’il doit faire. Mais ce qui se joue là est très crucial pour l’avenir de son pays. Personne ne souhaiterait se retrouver dans ce dilemme. Mais vous avez constaté qu’après le sommet des présidents européens à Londres auquel Zelensky a participé, tout s’est rapidement dessiné. Les européens ont certes de l’argent comme aide à fournir à l’Ukraine pour renforcer ses équipements militaires mais sont confrontés au refus catégorique des USA à vendre.
D’ailleurs le reste des armes stratégiques américains qui devrait être livrés à l’Ukraine, les premières déjà acheminées en Pologne, les dernières chargées dans des avions encore sur le sol américain sont toutes bloquées. Résultat, Zelensky commence par comprendre le poids américain dans l’issue de cette guerre et change objectivement de position. Il accepte de signer non seulement l’accord d’exploitation de ses minerais mais aussi l’accord de paix avec la Russie sous la coupole du Président Américain et ceci sans aucune garantie, ce qu’il exigeait lors de la visite à la maison blanche. C’est dire que les choses se sont accélérées rapidement dans les coulisses.

Pensez-vous effectivement que le Président Vladimir Poutine respectera cet accord de paix ?
Je pense que cet accord de paix est porté par le Président Donald Trump et non pas par les européens. Le Président Poutine les respectera pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il entretient de bonnes relations avec le Président Trump, ensuite parce qu’il n’a aucun autre intérêt à épuiser sa puissance militaire car il existe d’autres fronts sur lesquels la Russie est engagée. D’ailleurs dans la réaction russe, il a indiqué qu’il fallait forcer Zelensky a accepté une paix durable. Ce qui est sûr, les négociations seront très dures car la Russie a de fortes exigences. Elle a beaucoup perdu durant cette guerre mais elle a aussi beaucoup gagné, ce qu’elle considère comme des acquis non négligeables.
Croyez-vous que le Président Donald Trump ait réellement les moyens de concilier les deux camps ?
Aux regards de ce qui se joue, je ne peux ni dire oui ni dire non mais la propension parait positive. Une chose est sûre les enjeux sont capitaux de part et d’autre. C’est l’équilibre du monde qui se joue là et ce sont aussi les intérêts des Américains face à ceux des européens. Les Etats unis ont des intérêts en Europe, ils y ont installé des bases militaires presque partout, ce qui fait que depuis presque 30 ans, ils assurent la sécurité des pays européens, et ceci avec leur de commun. Les Américains ont des intérêts certains en Ukraine, aujourd’hui ce sont ces minerais.
Mais auparavant, ils ont énormément investi dans ce pays depuis plus d’une décennie. Quant aux dirigeants européens, ils n’ont pas envie de capituler aussi facilement à défaut d’être réalistes et d’accepter qu’ils aient perdu. En tout cas, Macron l’a clairement indiqué, l’Europe a décidé de prendre son destin en main et envisage très sérieusement une nouvelle hausse significative du budget des armées. On parle d’une bagatelle somme de 50 milliards d’euros et envisage que dans une décennie, les pays européens soient capables d’assurer une bonne partie de leur propre sécurité.
Dans cette grosse crise, quel pourrait être le rôle de l’Afrique ?
Aucun rôle, je dis bien nous n’avons aucun rôle à jour si ce n’est pas de rester spectateurs et d’en tirer des leçons de la géopolitique ou de la géostratégie mondiale. C’est de savoir que les pays du tiers monde ne sont pas les amis des puissances occidentales. Ils sont simplement bons pour être dominés et pillés parce que le continent constitue pour eux, l’avenir de leurs futures générations. C’est de profiter pour se repositionner diplomatiquement et rééquilibrer ses prochaines politiques publiques dans tous les secteurs. Nous devons choisir quel est notre système de gouvernance ? quels sont nos propres défis ? Je suis simplement triste de vous dire que malheureusement, l’Afrique semble ne jamais profiter de certaines opportunités.
Dans ce cas, que pouvons nous dire de l’impact que l’issue de cette guerre aura sur l’Afrique ?
Si la guerre perdure, rien ne changera dans la plupart de nos pays qui dépendent fortement des importations de blé, de maïs et d’autres céréales provenant d’Ukraine et de Russie. Il faut rappeler que cette crise a perturbé de nombreuses chaînes d’approvisionnement, ce qui a entraîné une hausse des prix et des pénuries dans plusieurs secteurs d’activités.
En tout cas, on l’a ressenti au Bénin. Le panier de la ménagère continuera de souffrir parce que les prix des denrées alimentaires de base vont poursuivre leur montée en flèche, l’inflation sera à son paroxysme. Aussi, vous savez que l’engrais utilisé dans nos champs de coton et autres sont également importés de la région. Cela accentuera les difficultés de la production agricole locale. L’impact sera aussi ressenti dans les secteurs énergétiques, les produits pétroliers, les imports exports en gros. Par ailleurs, certaines positions militaires russes seront renforcées en Afrique.
Pour terminer cet entretien, puisque nous savons désormais que l’Ukraine signera l’accord sur les minerais avec les Etats Unis bien qu’elle n’ait pas obtenu les garanties qu’elle recherchait auprès du Président Américain qui a mis sa menace a exécution le poussant à fléchir. Que pouvez-vous nous dire de l’évolution de la situation ?
Vous comprenez qu’on parle des Etats unis d’Amérique qui sont toujours considérés comme la première puissance au monde. Ils arrivent toujours à obtenir ce qu’ils veulent car ils ont d’innombrables moyens de pression ou de persuasion. Les rapports de forces ne sont pas mêmes.
Zelensky lui-même savait qu’en quittant la main blanche comme il l’a fait, qu’il ne pouvait jamais gagner cette guerre sans eux. Vous revoyez un peu la scène dans le bureau ovale, Zelensky n’est pas seulement face à Trump mais également en face J. D. Vance qui a pris le risque, non seulement d’entrer dans la conversation mais lui a dit plusieurs fois qu’il devrait être reconnaissant envers les États-Unis. A la fin, devant tout le monde, il s’est même permis de taper le bras gauche de Trump. C’est un signe qui prouve que l’administration Trump venait de gagner quelques points.
En tout cas, si le soutien cessait là, cela modifierait considérablement la dynamique du conflit et ouvrirait la voie à plusieurs scénarios possibles.
– victoire potentielle de la Russie : sans l’aide militaire et financière des États-Unis, l’Ukraine serait considérablement affaiblie. La Russie prendra plus de positions, contrôlera entièrement le Donbass et sera même capable de faire établir un gouvernement pro-russe à Kiev.
– négociations forcées et concessions territoriales : si l’Ukraine est affaiblie, elle sera obligée d’accepter des accords même à des conditions défavorables. La Crimée par exemple sera automatiquement annexée et l’Ukraine verrait ses ambitions d’adhérer à l’OTAN ou à l’Union Européenne partir en fumée.
– Instabilité régionale et conséquences géopolitiques : d’autres crises peuvent naître dans la région et cela affectera à coup sûr la sécurité et l’intégrité de certains pays limitrophes comme la Pologne et les pays baltes.
Si la guerre doit durer, il va falloir qu’en plus du courage des Ukrainiens de défendre leur territoire que les Américains maintiennent leur soutien. Comme je l’ai dit précédemment, non seulement il aura à signer l’accord sur les minerais, il signera aussi l’accord de paix et sans condition. Je ne vois aucune autre issue possible à cette guerre, c’est la victoire de la Russie dans la douleur. N’oublions pas que la Russie a aussi beaucoup de soutiens derrière, il y a les BRICS mais il y a surtout la Corée du Nord. Tous ces acteurs travaillent pour maintenir une sorte d’équilibre dans le monde, et ce dont nous avons besoin, c’est une coexistence pacifique. Mais ce qu’on ne dit pas vraiment, ce sont tous les éléments qui ont fait fléchir Zélensky. Les Américains lui ont quand même donné une certaine garantie.
Savez-vous que les minerais qui seront exploités par les Américains sont extraordinairement dans les zones déjà conquises par les Russes ? L’administration Trump aurait indiqué qu’une fois le contrat signé, les Etats unis s’y installeront avec leurs équipements d’exploitation mais aussi de défense, ce qui empêchera la Russie d’asseoir un contrôle total dans la zone.
Finalement, cette guerre est une affaire de business avec des milliers de morts et qui seront simplement considérés comme des dommages collatéraux. Les véritables gagnant seront les Américains, ils ont vendu une quantité incalculable d’armes enrichissant leurs propres industries, ils obtiennent par la force des choses quelques minerais, ils ont contribué à affaiblir la Russie. Quant aux européens, ils ont compris qu’il faudra reprendre leurs destins sécuritaires et économiques en mains. Quant à l’Ukraine, elle a intérêt à enterrer ses ambitions de rejoindre l’Union Européenne et l’OTAN.
Monsieur OLORY-TOGBE Ghislain, je vous remercie.
